L’idée de la mort polarise la tendance humaine à l’absolu, sous la figure du tout ou rien. Pourtant, l’expérience réelle de la mort d’un proche fait épreuve à cette tendance, en ouvrant dramatiquement la possibilité d’un chemin de vie hors de ce tout ou rien.

L’autre n’était donc pas tout pour moi et je ne suis pas rien sans lui, continuer de vivre n’est pas trahir tout ce qu’il était pour moi, son absence ne le réduit pas à rien, ma douleur présente n’est pas le tout de mon être, même s’il n’y aura peut-être désormais aucun jour où elle ne sera plus rien

Or, comment supporter la sortie du tout ou rien quand l’imaginaire de l’amour semble lui même jouer sur ce registre, quand l’adolescence semble promouvoir cette radicalité comme sa vérité propre, quand le chagrin, le désespoir et la douleur semblent sans fin, quand le regard extérieur se fige dans une sombre compassion devant celui qui aurait « tout perdu » ? Que la vie soit encore possible pourtant, là est une épreuve redoutable qui passe trop inaperçue.

Là est la surprise déroutante et terriblement culpabilisante du temps de deuil. C’est cependant en accompagnant ce nouveau rapport au sens que le fantasme d’absolu peut desserrer son étau. Non pas pour se résigner à la nécessité naturelle des choses, ni pour consentir à vivre malheureux ou pour opérer une moyenne morose entre le tout et le rien…

Mais pour envisager la réalité d’une présence qui ne s’engloutit pas dans l’absence et pour faire droit à l’intensité d’une relation qui continue de travailler, autrement. Pour entendre que l’amour réel n’accomplit pas le vœu du tout ou rien, mais découvre la voie de l’unique et du singulier qui « passe les ravins de la mort ».

Contrairement à la philosophie commune, la rencontre précoce de la mort n’est pas la manifestation prématurée de la vérité de notre destin, nous dévoilant que tôt ou tard, tout ce que nous sommes et vivons se renversera en rien. Néanmoins la fatalité guette celui qui n’est pas accompagné dans une autre révélation, difficile quoique traversée de promesses : celle de la destinée unique de sa personne qui se joue dans l’intrigue de son histoire. Accompagner le deuil d’un jeune, c’est alors reconnaître la souffrance unique qui est la sienne, mais aussi les ressources de sens, infiniment précieuses et profondes, qui sont les siennes. C’est assurer, avec force et respect, que l’amour, le sens et l’autre sont au-delà du tout ou rien de nos exigences comme du tout ou rien des apparences.

Extrait de l’intervention de Yan PLANTIER (Philosophe) lors de la conférence de la FEVSD « Les jeunes en deuil ».