Perdre un parent durant l’adolescence alors que la traversée de cette période est elle-même jalonnée de renoncements qui sont autant de deuils plus ou moins importants, plus ou moins organisateurs selon leur nature, les registres qu’ils convoquent, nous convaincs qu’une telle expérience limite pourrait-être tout aussi délétère que chez un plus jeune enfant, même si nous parions sur le fabuleux potentiel créateur propre au processus adolescent.

La clinique en oncologie nous fait quotidiennement témoins des effets désorganisant produit par l’éveil voir le réveil d’angoisses de séparation, d’abandon, de mort, suite à l’annonce de mauvaises nouvelles. Et de la force de leur impact chez les parents et leurs enfants, ébranlés dans leurs assises les plus profondes.L’enfant, le parent malade ainsi que le conjoint sont chacun à leur niveau, soumis à une double exigence particulièrement complexe qui consiste à investir l’autre en soi au moment où la perspective de la mort inéluctable impose un désinvestissement physique total et définitif.

Ce travail de séparation est colossal et déterminant, nous nous situons dans un pré-deuil qui n’est pas un deuil anticipé. Nombreux obstacles peuvent entraver ces processus si on ne les accompagne pas suffisamment tôt.

Cela doit inciter à une certaine vigilance à travers des prises en charges proposées le plus en amont possible de la maladie, selon des dispositifs qui peuvent être individuels, familiaux et/ou groupaux, mais doivent permettre dans tous les cas de les accompagner au plus près de leurs besoins, avec une visée de prévention des deuils compliqués ou pathologiques.

Le clinicien est fréquemment sollicité pour faire taire le chagrin au plus vite afin que l’adolescent reprenne le cours de sa vie, alors qu’au contraire nous avons tout un travail à effectuer avec lui du côté du faire avec cette expérience insensée, nous devons l’aider à re(sentir) des éprouvés issus d’une expérience qui tend à être désubjectivée tant elle est désubjectivant. Un travail est souvent nécessaire afin de réanimer des processus psychiques en passe de se dissoudre dans un profond désarroi s’ils restaient lettre morte. Il importe que soient tissées autour de l’adolescent endeuillé des enveloppes relationnelles et psychiques structurantes qui favorisent le sentiment d’être protégé (enveloppes contenantes) et compris (enveloppes sémiotisantes).

Il n’est pas rare ni anodin, que le parent se sachant condamné, plus spécifiquement encore les mères, sollicitent le psychologue comme objet maternel transitionnel en amont de la maladie, comme un passage de témoin qui serait disponible pour les adolescents. A charge pour le clinicien mobilisé par une certaine forme de préoccupation parentale soignante de réinstaurer une temporalité là où le temps a été précipité, écrasé, suspendu, parfois figé afin d’aider à la construction d’un récit, d’une mise en sens afin que l’adolescent puisse se réapproprier sa propre subjectivité et vivre avec son histoire.

Extrait de l’intervention de Laurence SYP-SAMETZSKY (Psychologue clinicienne, Centre anti-cancéreux Léon Bérard Lyon 8ème) lors de la conférence de la FEVSD « Les jeunes en deuil ».